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Le blog du passé
5 mai 2010

La route du pôle - Un hivernage à la Nouvelle-Zemble

Dès que l'on eut découvert l'Amérique, on reconnut qu'elle était comme une barrière placée par la nature entre l'Orient et l'Occident. Christophe Colomb croyait, en partant d'Espagne et cinglant droit à l'ouest, à travers l'océan Atlantique, arriver en Chine ou au Japon. Quel ne fut pas son étonnement en trouvant sur son chemin tout un monde, et derrière ce monde le plus large des océans !
Quand on eut pris pied en l'Amérique, on songea à l'éviter. De bonne heure des expéditions s'organisèrent pour passer entre sa partie septentrionale et le pôle. Nous ne savons pas au juste ce que c'est que le pôle Nord. Est-ce une mer ? Est-ce une terre ? L'avenir nous le dira dans un siècle ou deux, non sans nous faire payer son secret de quelques naufrages.
L'un de ceux qui l'interrogèrent le plus hardiment fut un Hollandais, Guillaume Barentz ; il tenta le premier de faire le tour de l'Amérique par le nord. Parti de Hollande dans l'été de 1596, il atteignit sans trop de difficultés la mer qui s'étend entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble. Barentz avant tout autre vit les ice-bergs, les montagnes de glace dressant à cents pieds de hauteur leurs masses blanches, bizarres, fragiles, et dont la rencontre eût écrasé son faible navire.
La nature épargna la vie de Barentz et de son équipage mais non sans lui faire expier cruellement son audace. En septembre, les ice-bergs commencent à se multiplier, ils se heurtent, et dans leurs chocs réciproques, tantôt ils se brisent en mille fragments, dont quelques-uns ont la forme de longues lances, et dont la pointe aiguë déchire la coque d'un vaisseau, tandis que d'autres se laissent choir de toute leur hauteur dans la mer, et mettent en pièces tout ce qui se trouve au-dessous d'eux. Tantôt au contraire un courant les rapproche et les soude ; malheur au navire qui se trouve entre eux ; il disparaît soudainement dans cette étreinte.Num_riser0001
Barentz échappa à tous ces dangers pour un affronter un plus terrible ; un hivernage dans la Nouvelle-Zemble. Un poète hollandais, Henri Tollens, n'a pas jugé indigne de son talent cette aventure héroïque, et son poème a pris place parmi les monuments de l'histoire nationale.
Les courants et les ice-bergs poussèrent le frêle vaisseau sur une côte affreuse, dont le seul spectacle était capable de jeter le désespoir dans des âmes moins éprouvées. Qu'on se figure un ciel d'une immobilité implacable, où les mêmes constellations tournent indéfiniment autour du pôle, où la nuit dure bien des fois vingt-quatre heures ; un sol d'une uniformité blanche, aride, morne, de la neige, de la glace, puis plus loin, toujours plus loin, de la neige, de la glace. Il fallait y attendre sans trop savoir à quoi cette attente aboutirait. Barentz nous raconte en ces termes les débuts de son hivernage :
"Nous vîmes que nous ne pourrions jamais sortir des glaces, que celles-ci deviendraient plus dures, et s'étendraient encore plus loin. Nous prîmes le parti de passer l'hiver en nous résignant au sort que Dieu nous destinait. Il fallait nous mettre à l'abri du froid et des bêtes féroces. Nous décidâmes de construire une habitation et de nous y enfermer.
Les courants déposent sur la côte de grandes quantités de bois morts ; ces provisions permirent aux naufragés de ne pas faire à la charpente de leur navire d'emprunts trop compromettant pour la solidité : ne fallait-il pas qu'il fût en état, à la débâcle prochaine, de les ramener en Europe ?
On construisit avec ces débris une maison. Il n'en fallait pas d'avantage pour attirer l'attention des habitants du pays qui n'étaient autres que des ours blancs. Ils étaient innombrables et curieux ; ils devinrent hostiles, et une belle nuit, ils se mirent à faire le siège de la demeure si péniblement bâtie. Ils sentaient, avec leur flair de carnassiers gourmands, que la maison était pleine de provisions diverses et ils se promettaient un riche festin.
Ils comptaient sans leurs hôtes. La maison avait été assemblée avec une extrême solidité, pour résister aux rafales si redoutables dans ces hautes régions ; ses murs de bois avaient l'épaisseur suffisante pour servir de défense. La neige qui la couvrait s'était durcie, et formait une seconde enveloppe protectrice. Les ours ne découragèrent pas. Ils découvrirent bientôt qu'ils pouvaient pénétrer à l'intérieur du bâtiment par la cheminée faite d'un tonneau planté dans une ouverture du toit. Ils escaladèrent et de leurs griffes puissantes, de leurs dents acérées, ils arrachèrent les douves.  Mais la résistance était aussi acharnée que l'attaque. Les coups de feu, les haches, les épieux firent des vides dans la troupe assiègeante ; les cadavres s'amoncelèrent sur la pente, et grâce à quelques instants de répit l'on put fermer la brèche.
La troupe était sauvée. L'ours polaire, animal des plus intelligents, comprit à qui il avait affaire, et il se tint pour averti.
Le 13 juin, les survivants de cet hivernage, - ils n'étaient plus que douze - quittaient cette région désolée où ils avaient passé dix mois et s'embarquèrent dans l'espoir de découvrir les côtes de la Russie ou de la Laponie ; mais Barentz et deux autres étaient si affaiblis par les privations qu'ils succombèrent. Leur mort ajouta aux souffrances et aux dangers de l'expédition privée de son chef. Ce ne fut qu'en septembre qu'elle découvrit le rivage de Laponie, et arriva en remontant la Kola jusqu'à une petite ville de ce nom, où l'on fit la rencontre d'un vaisseau hollandais qui ramena les infortunés dans leur patrie.
Quand, en 1871, le capitaine Carlsen visita la Nouvelle-Zemble, il y retrouva la maison de bois qui avait servi de refuge à Barentz et à ses compagnons trois siècles auparavant. Les cendres du foyer n'étaient même pas dispersées ; on découvrit plusieurs débris du navire, des chaussures qui avaient appartenu aux marins, et une vieille horloge qui avait compté les heures de la captivité.

Hermann DEVRIES - Septembre 1890

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