Les coutumes spirituelles des moines de Beaulieu

Une nuit de 1951, un peu avant Noël, Michael Sedgwick, directeur de recherche du musée de l'automobile de l'abbaye de Beaulieu en Angleterre, est encore à sa table de travail après minuit. La fumée du tabac emplit son bureau. Ouvrant la fenêtre pour aérer, il entend les chants d'un office catholique. "Ils venaient par vagues irrégulières, comme d'une radio qui marche mal, dit-il. Je les trouvai tellement beaux que j'essayai de les capter sur mon propre poste... en vain."
Ce même soir, Bertha Day, l'intendante de l'abbaye, entend les cantiques elle aussi. "Je savais que madame Mears, une voisine, venait de mourir." Tous deux le comprendront par la suite, ce sont les moines de l'abbaye qu'ils ont entendus chanter une messe, comme à chaque fois que quelqu'un du village s'éteint.
Seulement, aucun moine ne vit plus à Beaulieu depuis 1538. Fondée par les Cisterciens en 1204, l'abbaye a prospéré jusqu'à ce qu'Henri VIII la fasse fermer. Pourtant, semble-t-il, les moines n'en sont jamais vraiment partis.
Pour les gens de la région, les fantômes de Beaulieu font partie du quotidien. Le révérend Robert Frazer Powles entretient avec eux de si bonnes relations qu'il en connaît plusieurs par leur nom. A chaque Noël, il célèbre pour eux un office dans l'église du village. Un jour qu'un fidèle lui dit qu'il n'y a pas grand-monde pour la messe, il répond : "Plus que vous ne voyez !"
Tout le monde n'accepte pas aussi volontiers les fantômes de Beaulieu. Un membre d'une équipe de cinéma qui tournait à l'abbaye entend quelqu'un descendre l'escalier derrière lui. Les pas le dépassent, à sa grande terreur : celui qui le suit est invisible. D'autres gens on été affolés par des bruits qui, la nuit, semblent provenir du cimetière des moines comme pour un enterrement.
On a aussi vu les moines. Ils sont vêtus de marron, l'habit des frères lais qui, au contraire des pères en robe blanche, n'étaient pas ordonnés.
L'actrice Margaret Rhutherford a vu un jour un moine en froc brun lire dans les ruines du cloître, vision qu'un employé de l'abbaye eut aussi en 1965. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les officiers d'une unité antiaérienne ont aperçu un groupe de moines près de la chapelle. En 1979, on en vit un qui taillait la vigne récemment replantée.
Lord Montagu et sa famille, à qui appartiennent l'abbaye depuis 1673, affirment que les fantômes "n'ont jamais été autre chose que des amis". Les moines ont toutes les raisons pour l'être.