Le triste sort des gardiens de phare

Du jour de décembre 1899 où il a été édifié sur l'île rocheuse de Eilean Mor, au large des côtes écossaises, le phare a semblé maudit. Dans l'année qui a suivi sa mise en service, trois gardiens ont péri, un quatrième a fait une chute mortelle et plusieurs sont devenus fous. Puis, le 15 décembre 1900, le phare s'est éteint.
Quatre gardiens se relayaient afin de travailler par équipe de trois. Le 20 décembre 1899, Joseph Moore s'apprêtait à rejoindre son poste depuis l'une des Hébrides, à quelques milles d'Eilean Mor, mais, à cause du mauvais temps, il ne put regagner le phare que le 26. En d'approchant, le gardien fut frappé par le silence oppressant qui régnait alentour. Personne pour l'accueillir, pas de drapeau flottant au vent, et les boîtes à provisions vides n'étaient pas descendues.
A l'intérieur, tout lui avait semblé normal, si ce n'est que la lentille de la lanterne avait bien été nettoyée mais n'était pas recouverte - négligence impliquant que quelqu'un avait été dérangé dans son travail. Des plats de nourriture intacte étaient encore sur la table. Une chaise gisait à terre et deux cirés manquaient au portemanteau.
L'île venait d'essuyer une violente tempête comme témoignaient certaines dégradations visibles sur le versant ouest. Un coffre en bois contenant des cordages avait été arraché de son support, à quelque 35 m au-dessus de l'eau. D'énormes vagues avaient tordu les rampes de fer de l'embarcadère et étaient même venues lécher le sommet de la falaise.
Mais le jour de la disparition des trois hommes, la tempête s'était calmée : le carnet dans lequel les gardiens consignaient chaque jour des informations météorologiques ne faisait état que d'un léger crachin. En date du 15 décembre on avait écrit : "Fin de la tempête. Mer calme. Dieu est avec nous." Il faut croire que Dieu faillit à sa tâche, car on n'a jamais retrouvé la moindre trace des trois hommes.
On a pensé que les gardiens ont été enlevés par un monstre marin ou kidnappés par des espions étrangers ; ou bien qu'ils ont été attaqués par un oiseau géant ou par le fantôme qui, a-t-on prétendu, protégeait l'île des intrus. On a aussi supposé que l'un des gardiens a assassiné ses camarades puis s'est suicidé. Mais, les gardiens ont, officiellement, été emportés par une vague qui les a surpris sur le débarcadère.