La cantatrice et la tempête
Mme Calvé, la grande artiste, l'incomparable cantatrice parisienne, vient de faire preuve d'une présence d'esprit et d'un courage extraordinaires dans des circonstances qui méritent d'être contées.
Au cours de sa dernière traversée pour se rendre à New-York, le transatlantique La Savoie, sur lequel elle se trouvait, fut assailli par une effroyable tempête.
Les passagers, pris de panique, faisaient retentir le bâtiment de leurs clameurs ; il était difficile de se tenir debout ; l'émoi était considérable ; les officiers ne pouvaient, malgré leurs exhortations, rétablir le calme, quand soudain une voix délicieuse se fit entendre, accompagnée d'un piano : les admirables mélodies de Carmen résonnèrent, pures et fraîches, au milieu du tumulte : Mme Calvé, mue par une inspiration merveilleuse, chantait !
Des passagers vinrent voir à la porte du salon, y pénétrèrent ; d'autres suivirent qui, comme les premiers, restèrent bouche bée d'admiration ; les plus affolés descendirent eux-mêmes et se turent. Et à mesure que la cantatrice chantait, l'espoir revenait au coeur de tous, la panique se changeait en un vif sentiment d'enthousiasme qui faisait oublier le danger.
La tempête se calma le soir. Nous vous laissons à penser le succès que remporta Mme Calvé. Une ovation accueillit la dernière note de la partition, et quand le capitaine fit afficher que la tourmente était terminée, les passagers ne se souvenaient même plus de la grande frayeur qu'ils avaient eue.